Facture du Karnataka

            Le Karnataka fut créé en 1956 à partir de l'état princier de Mysore. Le palais de cette ville fut pendant plusieurs siècles un centre culturel très important où la musique en particulier fut largement célébrée. La facture des vinas à Mysore, participant à ce faste, est l'une des plus belles d'Inde du sud, et des instruments magnifiquement sculptés et incrustés d'ivoire peuvent être admirés au palais, dans les musées ou chez certains musiciens de cette cité. Elle est encore aujourd'hui de grande qualité, bien que pratiquée à très petite échelle. A Bangalore, métropole où vit une clientèle particulièrement aisée, s'est progressivement développée au cours du XXème siècle une lutherie qui en est directement inspirée. C'est aussi là que se sont installés vers 1920 les derniers artisans de Magadi, petite bourgade située à quelques dizaines de km à l'ouest et l'un des plus anciens sites de facture instrumentale du pays.
             La lutherie du Karnataka est très originale sur de nombreux points et reste aujourd'hui la moins touchée par l'influence grandissante de celle de Tanjore. Ses canons sont peu stricts et des différences importantes existent d'un facteur à l'autre, ce qui permet une identification relativement plus aisée de la provenance de chaque instrument. Cette liberté d'interprétation du modèle commun a permis, plus que partout ailleurs, la conduite à Bangalore d'expériences visant à remédier à certaines faiblesses, réelles ou supposées, de l'instrument. Etant parfois magnifiquement décorées, ou au contraire fabriquées en série avec des matériaux industriels, les vinas faites dans cette ville peuvent être les plus chères, ou les meilleur marché de toute l'Inde.

Les bois

            Le jaquier est traditionnellement utilisé à Mysore pour la facture de la caisse et du manche de la vina. Des bois de qualités différentes sont souvent employés pour ces deux pièces, les meilleurs essences ("jaquier de village") étant réservées à la fabrication de la caisse. Le chevillier, la table et le dandipalakka sont réalisés en palissandre des Indes, très abondant au Karnataka. La production d'instruments étant de nos jours très limitée, les facteurs s'approvisionnent individuellement suivant leurs besoins.

La structure

          Le yali et le chevillier, sculptés dans le même bloc de palissandre, ne forment qu'une seule pièce sur les vinas de Mysore. Un joint est ainsi toujours ménagé entre le reste du corps, fait en jaquier, et le chevillier en bois de rose. La caisse et le manche sont souvent en une seule pièce sur les plus beaux instruments, ou en deux morceaux réunis entre eux sur les vinas plus communes. Les seules structures rencontrées pour la construction du corps sont donc de type 2 A + et 3 +.

Le corps

        Les vinas de Mysore ont une longueur totale comprise entre 128 et 137 cm, assez semblable à celles de Tanjore, mais une plus importante longueur vibrante (83 à 88 cm). Sur ces instruments, le scellement des joints entre les différentes parties est réalisé à l'aide de colle animale chaude, renforcée par trois ou cinq grosses chevilles de bois de 8 mm de diamètre environ, traversant les deux pièces de part en part et étant ainsi visibles à l'extérieur. Aucun support transversal pour le dandipalakka n'est fixé sur le manche, celui-ci étant simplement collé sur les bords.
          Les caisses des vinas de Mysore sont pour la plupart parfaitement lisses, sans aucun dessin de côtes. Quelques exceptions existent toutefois, comme par exemple les instruments fabriqués par le facteur Rudrappa, ayant des côtes semblables à celles de Tanjore, ou d'autres plus anciens aux dessins rappelant les premiers âges de la facture de Trivandrum. Les vinas de Magadi présentent elles aussi de très fines côtes assez semblables à celles des vieux instruments du Kerala. Dans la majorité des cas ces rainures sont délimitées près du cordier et du manche par un dessin en forme de fleur aux pétales arrondis. La décoration des vinas de Mysore est généralement de la plus grande sobriété. Elle est le plus souvent constituée d'une très fine bande de corne de cerf, de métal ciselé ou d'ivoire marquant la bordure de la caisse, du manche et du chevillier, cachant le joint entre les différentes parties.

Caisse d'une veena de Mysore
Caisse d'une vina de Mysore
Caisse d'une Vina de Magadi
Caisse d'une vina de Magadi

Le chevillier et le yali

            Le plus bel ornement des vinas de Mysore réside sans conteste dans le chevillier et le yali, sorte de chef d'oeuvre et de signature propre à chaque luthier. Les chevilliers ne sont jamais recouverts de planchettes articulées : un tel dispositif nuirait sans doute à la beauté des sculptures ornant ces pièces. Si la forme du lion à la gueule grand ouverte est de manière générale toujours retenue pour le yali, les profils sont chaque fois différents, parfois plus élancés et parfois plus massifs. Des incrustations en marqueterie d'ivoire peuvent aussi être ajoutées, et des crocs de la même matière contrastent avec la couleur sombre du palissandre. Ces très belles pièces ne sont jamais peintes ni recouvertes de feuilles dorées. Les exemples ci-dessous montrent la diversité de ces sculptures.

Yali d'une Vina de Narayanachar
Yali d'une vina du luthier Narayanachar
Yali d'une Vina de Parameswarachar
Yali d'une vina du luthier Parameswarachar
Yali d'une Vina de Magadi
Yali d'une vina faite à Magadi
Yali d'une Vina de Venkatagiriappa
Yali d'une vina ayant appartenu à Venkatagiriappa
Yali d'une vina de Rudrappa
Yali d'une vina du luthier Rudrappa

La table et le dandipalakka

            Les tables de Mysore sont plates, ou ont une flèche ne dépassant pas quelques millimètres. Elles sont assez fines et montrent ainsi une certaine souplesse. Leur rayon est très variable, compris entre 15 et 16 cm pour celles du début du siècle et entre 17 et 18,5 cm pour les instruments fabriqués dans les années 1930 - 1940. Elles sont collées sur la caisse et maintenues par de petites chevilles de bambou ou de bois clair. Beaucoup d'entre elles ne sont pourvues d'aucune ouïe, les d'autres n'ayant pour seule ouverture que les deux cercles formés de petits trous entourant les rosaces. Seuls les instruments utilisés par K.S. Keshavamurthy, ses descendants ou certains de leurs élèves possèdent des ouïes de taille importante, ayant la forme de deux échancrures symétriques en "S", un peu inspirées de celles du violon.
            La décoration des tables est elle aussi marquée par la sobriété. Elle peut être totalement absente ou être réduite à un léger filet sur le pourtour. Deux rosaces en corne gravée sont néanmoins souvent incrustées de part et d'autre des cordes, et des plaques d'ivoire sculpté ou d'argent fondu à l'image de dieux ou de déesses sont parfois ajoutées sur des instruments ayant appartenu à de très grands musiciens.
            Le dandipalakka est creusé profondément sur sa face intérieure, souvent totalement dépourvu de baguettes en relief mais alignant simplement deux rainures permettant la bonne adhérence de la cire. Son extrémité de forme très carrée repose sur la table qu'elle surplombe parfois de plusieurs centimètres.Il est fixé par de la colle chaude animale, sans renfort de clou ni de cheville. Une vis est dans certains cas rajoutée à son extrémité pour la rendre plus fortement solidaire de la table. Sur les instruments de grand prix, des décorations en fines plaques de corne gravées ou en métal ciselé sont enfin parfois incrustées sur ses bords.

Table d'une veena de Mysore Doreswamy Iyengar
Table d'une vina ayant appartenu à Mysore Doreswamy Iyengar
Table d'une Veena de R.K. SrinivasamurthyTable d'une vina appartenant à R.K. Srinivasamurthy Table d'une Veena de SubannaTable d'une vina ayant appartenu à Veena Subbanna

Le chevalet

              Les chevalets des vinas de Mysore ont pour particularité de posséder deux plaques distinctes au contact des cordes mélodiques. La première, réservée à la corde sarani, est assez étroite et faite en acier. La seconde, beaucoup plus large, est en bronze et sert pour les trois autres cordes. Une cinquième entaille dans le chevalet et sur le sillet permet sur certains instruments de doubler la corde sarani. Ce montage en double choeur, rendant presque impossible tout possibilité d'ornementation en tiré, n'est plus utilisé de nos jours. Quelques vinas enfin, jouées par des fils de R.S. Keshavamurthy, possèdent comme sur les sitars d'Inde du nord un second chevalet pour des cordes sympathiques. Ce dispositif se rencontre sur la majorité des gottuvadyams, mais reste exceptionnel sur ce type d'instrument. Chevalet d'une Veena de Subanna
Chevalet d'une vina ayant appartenu à Veena Subbanna

Le cordier

          Contrairement à toutes les autres traditions, le cordier de ces vinas n'est pas fait d'une pièce de métal vissée au bout de l'instrument mais, à l'image des tampuras d'Inde du nord ou du sud, il est constitué d'une excroissance de la caisse et de la table, à l'intérieur de laquelle des trous sont ménagés pour permettre le passage des langars (voir photos ci-dessus). La partie supérieure est renforcée d'une plaque de corne ou de métal évitant l'usure due à la tension et aux frottements. Seules les vinas pourvues de cordes sympathiques ont recours à un cordier métallique rajouté permettant la fixation d'un nombre de cordes plus élevé.

Le résonateur supérieur

Résonateur d'une Veena de Mysore

            Pour remplacer les calebasses, des volumes en feuilles d'acier, soudées et peintes de couleur verte ou noire, sont très souvent utilisés à Mysore comme résonateur extérieur. Des imitations en papier mâché ornées de grands motifs en relief sont parfois aussi employées. Les calebasses authentiques, dont la région principale de production (Pandharpur) n'est pas très éloignée de la frontière nord du Karnataka, sont cependant préférées par beaucoup de musiciens.