La notation de la musique pour la Vina

          La musique indienne en général, et carnatique en particulier, utilise un système de notation traditionnel, appelé notation "sargam" du nom des quatre premières notes de la gamme indienne (Sa Ri Ga Ma). Cette notation consiste à représenter chaque note par l'initiale de son nom (S R G M P D N), et à joindre à cette notation succincte quelques signes complémentaires permettant de préciser l'octave ou encore le rythme de la note jouée. Un ou deux points au-dessus ou au-dessous de la note indiquent que celle-ci doit être jouée une ou deux octaves au-dessus ou au-dessous de l'octave médium. Un ou deux traits sur (ou sous) la note indiquent une durée divisée par 2 ou par 4. Des virgules ou points virgules prolongent au-contraire la durée de celle-ci, et l'écriture de la musique dans un cadre marqué par des traits verticaux permet de préciser le déroulement du cycle du tala. La mention du raga interprété permet elle de dissiper toute ambiguité sur la nature "#" ou "b" de chaque note. .

Parvati NinuPallavi du kriti "Parvati Ninu" de Syama Sastri en notation Sargam

 

JambupatePallavi du kriti "Jambupate" de Muttuswami Dikshitar en notation Sargam tamoule, transcrit par Subbarama Dikshitar         Cette notation manque malheureusement beaucoup de précision, et ne peut donc constituer qu'un simple aide mémoire dans le cadre d'une tradition orale transmettant l'essentiel de la musique. Beaucoup de tentatives ont été faites pour tenter d'en améliorer la précision, particulièrement pour la description de l'ornementation (gamakas). On signalera d'abord le travail de Subbarama Dikshitar qui dans son ouvrage "Sangita Sampradaya Pradarsini" a transcrit de très nombreuses compositions héritées de la tradition de son grand-oncle Muttuswami Dikshitar en utilisant un code assez élaboré de signes symbolisant les principaux ornements. La partition ci-contre, écrite en tamoul, montre des symboles ( /, trois points en triangle, W, oiseau stylisé et vaguelettes) qui représentent tous des ornementations particulières (jaru, sphurita, nokku, orikkai et kampita).

        A la suite de Subbarama Dikshitar, Vidya Shankar, elle aussi possédant la maitrise de la vina, a tenté de définir les différents gamakas utilisés dans la musique carnatique. Elle a repris l'essentiel des symboles employés par Subbarama Dikshitar mais en leur donnant des définitions variant quelque peu, ce qui a tendance à ajouter encore de la confusion à ces systèmes de notation améliorés. Une étude de Sharada Gopalam (Facets of Notation in South Indian Music) montre que pour bon nombre d'ornements (odukkal, orikkai, kandippu, nokku,...) les définitions entre ces deux artistes diffèrent assez radicalement !

          Des transcriptions sur portée, utilisant le système occidental, ont aussi été tentées depuis de nombreuses années. A la fin du XIXème siècle, A.M.Chinnaswami Mudaliyar avait retranscrit ainsi de nombreux morceaux du répertoire classique carnatique (pour plus d'informations sur ce sujet, se reporter à cet ouvrage). Plus près de nous Emmie te Nijenhuis a aussi retranscrit aussi fidèlement que possible des mélodies et des improvisations d'artistes contemporains sur des partitions occidentales. Ces tentatives ont malheureusement pour effet de s'attacher de trop près à la forme, et de gommer la structure de l'oeuvre et la nature propre de chaque "svara".
mudaliarDébut du pallavi du kriti "Vidulaku Mrokkeda" de Tyagaraja en notation sur portée, transcrit par A.M.C. Mudaliar Emmie Te NijenhuisFragment d'un alapana interprété par Ranganayaki Rajagopalan transcrit par Emmie Te Nijenhuis


          Plus près de nous encore, en 1985 pour sa thèse intitulée "South Indian Vina, Tradition and Individual Style", Karaikudi S. Subramanian a utilisé une notation complexe incluant à la fois une notation Sargam, une notation d'exécution technique, une transcription graphique et une double notation occidentale, l'une étant une simple traduction de la notation sargam et l'autre cherchant à reproduire la réalité des ornements. Ce type de transcription, extrêmement lourde, est sans aucun doute un aboutissement dans la tentative de reproduire à des fins d'analyse le plus fidèlement possible toute la complexité de la ligne mélodique jouée sur une vina.

Karaikudi SubramaniamPassage du pallavi du varnam "Viribhoni", interprété par Mysore V. Doraiswamy Iyengar, transcrit par Karaikudi S. Subramaniam.

BalachanderFragment d'alapana, interprété par S. Balachander, transcrit par Daniel Bertrand.         Le même principe de transcription a été repris, sous une forme légèrement différente, pour notre thèse sur les styles de jeu de la vina au XXème siècle, en y joignant parfois les sonagrammes à partir desquels les notations graphiques ont été élaborées. Un tel recours à l'analyse spectrale de la mélodie permet d'obtenir une transcription graphique parfaitement rigoureuse.
        Il n'est bien sûr guère possible de retranscrire de cette manière tout un répertoire, mais ce type de représentation permet de mieux comprendre la réalité du jeu de l'instrument, et la complexité mélodique des pièces interprétées.

              En définitive, la question de la notation de la musique composée ou interprétée sur la vina ne peut obtenir de solution satisfaisante que dans la mesure où l'on peut définir l'usage que l'on souhaite faire de cette notation. S'il s'agit d'un apprentissage de l'instrument, alors la notation sargam, à la rigueur agrémentée de quelques signes indiquant les principales ornementations, est de loin la meilleure solution. Elle a l'avantage de mettre en lumière la structure des pièces interprétées et de faire appel à la mémoire auditive de l'étudiant dans le cadre d'une transmission orale.
            Si l'on désir analyser finement une interprétation instrumentale, les techniques modernes d'analyse du son (sonagraphe) permettent de pousser très loin l'exploration de très fines variations mélodiques. Dans l'avenir on pourrait aussi envisager une vina équipée de capteurs MIDI qui permettraient de transmettre directement à un ordinateur toutes les données résultant du jeu de l'instrumentiste (frettes et cordes utilisées, modifications de tensions, techniques de pincements).
          En attendant les enregistrements sonores, et plus encore vidéos, constituent une forme de notation inestimable qui remplit la plus importante des fonctions : préserver de la manière la plus fidèle possible la réalité musicale d'une composition ou d'une improvisation. Un soin attentif doit donc toujours être pris à optimiser ces enregistrements, aussi bien au niveau de la qualité sonore que des cadrages de l'image pour que le maximum d'informations puisse être préservé. Internet, qui permet la libre circulation de beaucoup de ces enregistrements (malheureusement souvent techniquement peu maitrisé), constitue désormais un fond d'archives de première importance (quelques exemples sont proposés dans la page "Liens" de ce site.