Les banis du Karnataka |
Le Karnataka fut formé en 1973, à la suite d'une réorganisation administrative de l'ancien état princier de Mysore. Sa capitale est Bangalore, cinquième ville de l'Inde et pôle national de développement des technologies les plus avancées du pays. Mysore, cité historique et culturelle, reste la deuxième ville de l'état. Elle possède, comme Bangalore, une importante université avec une section musicale très active, de multiples associations de mélomanes, et une station locale d'All India Radio. |
Les principaux vainikas de l'école de Mysore |
Les nombreux noms figurant sur ce tableau ne sont que les plus connus, et une infime partie de l'ensemble des joueurs de vina de cette époque. D'autres familles remarquables ont existé, comme celles de Krishnappa, de Sambayya, de Shamanna, de Padmanabhiah ou de Rudrapatnam Rangappa dont R.S. Keshavamurthy et ses fils sont les descendants. Beaucoup des musiciens sortis de leurs rangs étaient aussi engagés au palais, ou servaient dans les temples de la région. |
Veena Seshanna et Veena Subbanna | Malgré des origines familiales proches (ils étaient cousins au 3ème degré), une éducation musicale commune (élèves tous deux de Dodda Seshanna, le père adoptif de Vina Subbanna, et du chanteur / compositeur Mysore Sadasiva Rao), et de très nombreux concerts donnés ensemble, la vie, la personnalité et le style musical de Subbanna et Seshanna étaient profondément différents. Ils sont néanmoins tous deux à l'origine des différents courants qui ont constitué le style de Mysore. Tous ces courants sont marqués par un jeu assez détaché, souvent virtuose, utilisant modérément le tiré latéral des cordes, et laissant une grande place à l'improvisation, |
La descendance (Bani) de Veena Subbanna et l'école de Rudrapatnam |
Ayant hérité d'une très grande fortune, Subbanna vécut une vie de luxe, pratiquant la musique en esthète sans avoir besoin d'y trouver sa subsistance. Confident et ami du maharaja, Subbanna était le chef des musiciens du palais (bakshi) et intermédiaire naturel entre les artistes et le prince. Sa situation matérielle avantageuse le dispensa des fréquentes tournées à travers l'Inde auxquelles Vina Seshanna s'astreignait, réservant ses concerts principalement aux visiteurs de Mysore. Elle lui aurait aussi permis de limiter le nombre de ses disciples à quelques rares privilégiés. Cet enseignement restreint serait une des causes de la relative occultation du style de jeu qu'il pratiquait par celui plus largement répandu de Seshanna. |
Quelques noms de musiciens sont parfois cités comme élèves de Subbanna : le chanteur Chikka Rao, Belakavadi Srinivasa, Akkammanni Subbanna et le sculpteur P.S. Krishnamacharya. V. Srikanta Iyer et B. Devendrappa suivirent son enseignement et celui de Seshanna. Son principal disciple fut cependant Rudrapatna S. Keshavamurthy à qui il légua sa vina dans les derniers jours de sa vie, le reconnaissant ainsi comme l'héritier de sa tradition. |
Rudrapatna S. Keshavamurthy |
Keshavamurthy eut onze fils, cinq d'entre eux étant aussi devenus des vainikas professionnels. Leur style est assez marqué par une grande recherche de la virtuosité : - R.K. Srinivasamurthy (1935 ) : Il fut musicien "top grade" d'All India Radio, mais n'a pas enregistré de disque commerciaux à notre connaissance. - R.K. Suryanarayan (1937 – 2003) : Style flamboyant. Assez nombreux enregistrements commerciaux. Quelques vidéos sur youtube ainsi que des lessons de veena... - R.K. Raghavan - R.K. Prakash - R.K. Padmanabhan : Héritier de la Vina de Vina Seshanna. Vidéos sur youtube montrant sa virtuosité particulière dans les tanams |
R.K. Srinivasamurthy - Alapana - Kalyani Ragam |
Rudrapatna K. Suryanarayan | Rudrapatna K. Srinivasamurthy |
Vina Seshanna et le bani de Mysore |
Seshanna est né à Mysore en 1852 dans une famille de joueurs de vina depuis de nombreuses générations. Son père Chikkaramappa était un vainika réputé, et avait le titre de bhakshi (musicien en chef) au palais de Mysore. Très jeune, à l'âge de dix ans, Seshanna fut remarqué par le prince en étant seul capable de reproduire et chanter un pallavi particulièrement complexe composé par un artiste de passage. Après le décès de son père, il poursuivit ses études de vina avec Dodda Seshanna, père de Vina Subbanna et maître intransigeant, et travailla le chant auprès de Mysore Sadasiva Rao. |
Veena Seshanna |
Les témoignages décrivant le style de Veena Seshanna insistent sur sa créativité, l'originalité de son discours et sa maîtrise rythmique. Les effets de contraste, la recherche de la qualité du timbre, l'utilisation de techniques nouvelles comme le jeu en doubles cordes ou en sons harmoniques, l'emploi très maîtrisé du tiré, l'ornementation en frappé, les grands glissés sont d'autres caractéristiques de son jeu. |
Cinq disques 78 tours furent gravés par Seshanna dans les dernières années de sa vie. Ces documents ne rendent que fort peu justice à son talent : de trop brèves durées, ils s'accordent mal à son style privilégiant les longues improvisations ; enregistrés par la seule énergie acoustique de l'instrument sans aucun recours à une amplification électrique, il dénaturent son jeu dont une des caractéristiques principales était justement la douceur des attaques. En écoutant ces documents, il faut garder constamment à l'esprit l'énorme dégradation qui advint entre le jeu brillant et délicat qui fit la gloire de ce musicien et ces quelques sons voilés dans un bruit parasite. |
Le bani de Mysore, au sens où on l'entend aujourd'hui, est constitué de la descendance musicale de Vina Seshanna, principalement par l'intermédiaire de son meilleur disciple, Venkatagiriappa, dont furent élèves tous les artistes les plus renommés de ce courant. Si Seshanna fut son créateur, Venkatagiriappa permit, par un important travail de pédagogue, sa diffusion et sa - relative – popularité actuelle. |
De ces vainikas se réclamant du bani de Mysore, Mysore V. Doreswamy Iyengar est sans doute le plus connu, et le seul ayant eu largement accès à l'enregistrement commercial. Né en 1920, son père, M.J. Venkatesa Iyengar, était un joueur de vina confirmé, ancien disciple de Chikka Subba Rao et de Venkatagiriappa, mais aussi un flûtiste renommé, membre de l'orchestre des artistes du palais de Mysore. Montrant un intérêt précoce pour la vina, Doreswamy fut d'abord initié à cet instrument par Venkatesa, qui le confia très vite, dès l'âge de sept ans, à son maître et ami Venkatagiriappa. Après quelques années d'études, son guru le présenta, avec deux autres de ses élèves, pour une audition devant le maharaja (Krishnaraja Wodeyar IV). Il fut remarqué par le prince et quelques mois plus tard, âgé d'à peine douze ans, il intégrait l'orchestre du palais en tant que "jeune artiste". Plongé dans l'atmosphère musicale exceptionnelle de la cour, il eut le loisir de rencontrer et d'écouter les plus grands maîtres de la musique carnatique de l'époque, qui contribuèrent, chacun à sa manière, à faire mûrir peu à peu sa personnalité de musicien. |
Mysore V. Doreswamy Iyengar |
Doreswamy Iyengar passa de nombreuses années dans l'orchestre du palais de Mysore, et acquit une célébrité qui s'étendit par-delà les frontières de cet état. En 1952 il fut le premier joueur de vina à donner un concert sur le programme national d'All India Radio, tout nouvellement créé. Trois années plus tard il acceptait, après de longues hésitations, la charge de producteur de musique sur la grande station d'A.I.R. de Bangalore. Il conserva ce poste durant vingt-cinq ans pendant lesquels il fut à l'origine de nombreuses émissions de référence. Son travail à la radio ne l'empêcha pas de poursuivre sa carrière d'instrumentiste, et il entreprit durant toutes ces années de nombreuses tournées dans toute l'Inde, ainsi qu'à l'étranger, en Europe et en Amérique du Nord. |
Mysore V. Doreswamy Iyengar était bien entendu titulaire du plus haut grade (Top Grade) dans la hiérarchie d'All India Radio. Il existe quelques enregistrements commerciaux de sa musique (un disque 78 tours dont nous présentons un bref extrait ici, un disque 33 tours, et quelques cassettes audio), gravés tout au long d'une période répartie sur une quarantaine d'années. D'assez nombreux C.D. de ses concerts ont été aussi commercialisés depuis sa disparition. Considéré comme le porte drapeau de toute l'école de Mysore, il existe à son sujet un grand nombre d'articles de journaux et de revues, des mentions dans des ouvrages musicologiques ou des thèses universitaires. Il n'a eu que peu de disciples, les deux principaux étant son fils D. Balakrishnan, qui figure sur nombre de ses enregistrements, et Mysore C. Krishnamurthy, disparu en 1992. Une vidéo d'un tillana dans le raga Behag joué par C. Krishnamurthy peut être actuellement visionée sur youtube. D'assez nombreuses videos de D. Balakrishnan sont également disponibles, ainsi que des enregistrements commerciaux. |