Les banis d'Andhra Pradesh

          L'état d'Andhra Pradesh fut créé en 1953 par la séparation sur une base linguistique (le parler telugu) de territoires administrés auparavant par les présidences de Madras et de Mysore. Agrandi en 1956, puis en 1960, il représente aujourd'hui par sa superficie le cinquième état de l'Union Indienne.
          Jusqu'au lendemain de l'indépendance du pays, de nombreux états princiers parsemaient le vaste territoire de l'actuel Andhra Pradesh. Leurs maîtres entretenaient des cours, lieux propices au développement et à la préservation de la culture, où des musiciens restaient souvent à demeure. Le plus important de ces royaumes était celui des nizams d'Hyderabad, princes musulmans dont les goûts musicaux étaient naturellement plus proches de la tradition hindousthanie. D'autres, dirigés par des rajas hindous, furent des centres culturels très importants où la musique carnatique occupait une place privilégiée. Ceux de Vizianagaram, de Bobbili et de Pithapuram, laissèrent une trace profonde dans l'histoire qui nous intéresse.
          La capitale actuelle de l'Andhra Pradesh est la ville d'Hyderabad qui, avec sa jumelle Secunderabad, constitue la troisième grande métropole du sud du pays, après Madras et Bangalore. Forte de son passé historique et de son dynamisme moderne, cette cité est le siège de plusieurs stations de radio et de télévision, d'universités et de grandes institutions culturelles. Visakapatnam et Vijayawada connurent au XXème siècle un essor démographique et commercial les transformant en d'importants centres régionaux dotés eux aussi de stations d'All India Radio, d'écoles de musique et de sabhas. Au sud de l'état, Tirupati, où est situé le grand temple dédié au dieu Venkateshvara, entretient une université très active dans le domaine des sciences et des arts.
       C.S. Anantapadmanabhan dans son ouvrage "The Veena : Its Technique, Theory and Practice" évoque cinq lieux principaux (Bobbili, Vizianagaram, Pithapuram, Visakapatnam et Kalahasti, près de Tirupati) où furent cultivés, à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, une tradition de jeu de la vina en Andhra Pradesh. D'après les témoignages que nous avons recueillis, la plupart des musiciens actuels de l'Andhra Pradesh semblent se répartir suivant deux banis principaux. Le premier, appelé bani de Vizianagaram, regroupe la majorité des instrumentistes résidant à l'intérieur de l'état. C'est le plus ancien et le plus homogène, plongeant ses racines dans les traditions ayant prévalu dans les cours de Vizianagaram et de Bobbili. Le deuxième que l'on peut appeler bani de Pithapuram est aussi souvent dénommé bani d'Emani (Sankara Sastri) du nom de ce vainika ayant laissé une très importante filiation de disciples successifs. Beaucoup de ses représentants résident à Madras ou à Bangalore. Ne craignant ni les influences multiples, ni les expériences nouvelles, il s'est souvent tourné vers la modernité, sans néanmoins oublier, lorsque les circonstances l'exigent, les règles imposées par le classicisme.

Le Bani de Vizianagaram

            Les deux petits états princiers de Vizianagaram et de Bobbili sont situés au nord de l'Andhra Pradesh, non loin de l'Orissa, et ne sont séparés entre eux que d'une quarantaine de kilomètres. Au début du XXème siècle, la cour de Vizianagaram était dirigée par le raja Ananda Gajapati, musicien amateur et vainika, qui avait à son service un instrumentiste légendaire, Venkataramana Das Pantulu. Ce musicien fut un des derniers à jouer de la vina en position "urdhva", comme le montre sa photo sur la page de ce site réservée à la tenue de l'instrument. C.S. Anantapadmanabhan écrit dans l'ouvrage cité plus haut que "ceux qui l'ont entendu disent qu'il n'est pas même possible de montrer avec la voix tous les sons qu'il produisait". Si nous ajoutons à ce témoignage l'intérêt de Venkataramana Das pour des figures de jeu comme le "cakra bandham", pratique consistant à jouer une pièce en gardant la même position de la main le long du manche et en utilisant toutes les cordes tour à tour, nous comprendrons que le style de cet artiste était très vraisemblablement beaucoup plus instrumental que vocal. Son intérêt pour la lutherie, et les expériences originales qu'il fit sur ses instruments semblent confirmer cette présomption. Venkataramana Das est décédé en 1948, mais sa carrière musicale s'interrompit brusquement vingt-deux années auparavant, lorsqu'il fut affecté par la surdité. Il n'existe malheureusement pas d'enregistrement de ce musicien qui n'a laissé à notre connaissance aucun disciple.
            A la même époque, plusieurs vainikas résidaient à Bobbili. Nous sont restés les noms de Sistu Sarva Sastrulu, Sistu Chelamayya, Sistu Bhagavanulu et Vasa Krishnamurthy. Alors que nous n'avons pas retrouvé trace des trois premiers, le père de Vasa Krishnamurthy, Vasa Venkata Rao, a laissé derrière lui une riche descendance de musiciens de haut niveau. C'est cette tradition, représentée aujourd'hui principalement par les familles Ayyagari et Pappu, mais aussi par quelques autres instrumentistes d'importance, qui est qualifiée de bani de Vizianagaram, bien qu'ayant en réalité pour origine la ville de Bobbili. Nous présentons dans le tableau ci-dessous les relations de maître à disciple entre les principaux artistes se réclamant de ce bani.

bani de Vizianagaram

            La caractéristique principale du bani de Vizianagaram réside dans la place primordiale réservée à l'improvisation, les compositions jouant un rôle beaucoup plus secondaire que pour l'école de Tanjore. Tous les ragas, même les plus rares, peuvent servir à de longues expositions du genre alapana ou tanam, et constituer le "main item", la pièce principale d'un concert. Sur le plan esthétique, d'après le témoignage d'Ayyagari Syamasundaram, ce bani n'est pas purement instrumental, mais il utilise simplement une profusion de techniques instrumentales. Plus de gamakas différents, ou de sortes de mittus seraient ainsi employés dans ce style. Une technique originale comme le pincement avec le pouce de l'ensemble des cordes mélodiques en serait une caractéristique, ainsi que l'utilisation de nombreux glissés de grande ampleur, et une technique de frappe de doigts sur plusieurs cordes successivement. Le vibrato est utilisé pour prolonger la durée des notes. Chez de nombreux instrumentistes de ce bani nous remarquerons enfin l'utilisation sur la corde du Sa grave (mandara Sa) d'un jiva, petit fil glissé entre la corde et la plaque courbe du chevalet, provoquant un grésillement particulier de la note. Ce fil est même dans certains cas, comme chez Pappu Chandrasekhar, remplacé par un petit morceau de ressort métallique, suivant une pratique inaugurée par Emani Sankara Sastri. Les effets de doublement de la mélodie à l'octave, simultanément ou en écho, acquièrent par ce procédé une toute autre perspective.

          Les enregistrements commerciaux d'artistes appartenant au bani de Vizianagaram sont peu nombreux, et leur diffusion ne dépasse que rarement les frontières de l'Andhra Pradesh. Ayyagari Syamasundaram présente sur son site quelques vidéos que l'on peut aussi visionner sur Youtube et quelques enregistrements de sa femme Jayalakshmi sont aussi sur ce site. On ne trouve pas de videos de Pappu Chandrasekar, mais un morceau où il joue conjointement avec son père Pappu Someswara Rao peu être écouté sur Youtube. De même un enregistrement d'Ayyagari Someswara Rao est aussi disponible sur le même média. Je ne suis jamais arrivé à trouver d'enregistrement de Vasa Krishnamurthy bien que sans doute quelques-uns existent. Kaza Subhashini Sastry, Ananda Rajyalakshmi et Mallapragada Jogulamba sont bien présentes sur internet grace à leurs sites et à de nombreuses vidéos. Un très bel enregistrement de Ramavarapu Subba Rao, dont nous donnons un extrait ici, peut être enfin téléchargé sur le site washerman's dog.

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Ramavarapu Subba Rao - Alapana - Sindhu Bhairavi

Le bani de Pithapuram (bani d'Emani Sankara Sastri)

            Pithapuram est situé au centre de l'Andhra Pradesh, sur la côte du golfe du Bengale, entre Visakapatnam et Vijayawada. Ce fut pendant longtemps un centre important de la facture instrumentale, mais cette activité n'y est aujourd'hui pratiquement plus pratiquée. Ce petit état princier n'aurait sans doute pas laissé d'autres traces dans l'histoire de la musique carnatique si un très grand joueur de vina, Tumarada Sangameswara Sastri, n'était entré, au début du XXème siècle, au service de son dirigeant. Sangameswara Sastri est né en 1873 près de Bobbili. Il apprit l'art vocal dès l'âge de huit ans avec son beau-frère Nandigana Venkanna Garu, chanteur renommé de la cour de Bobbili, dont la voix puissante aimait à être accompagnée par la vina. Après quatre années d'études du chant, il fut initié par le même guru à la pratique de cet instrument, dont il devint rapidement un maître grâce à un travail acharné.
            Comme Venkataramana Das, et beaucoup d'autres vainikas de cette époque, Sangameswara s'astreint à une discipline rigoureuse. Son entraînement quotidien était le veyi sadhakam, consistant à jouer mille fois de suite les gammes ascendante et descendante sur trois octaves, à la vitesse la plus rapide possible, toute interruption entraînant un recommencement au début. Un travail de trois ou quatre heures par nuit, abordant chaque fois un raga différent et en explorant les infinies possibilités, complétait sa pratique journalière. Comme la plupart des vainikas vivant en Andhra Pradesh à cette époque, Sangameswara Sastri tenait sa vina en position urdhva.
            Une partie importante de la réputation acquise par Sangameswara Sastri vient de l'admiration que lui témoigna le poète Rabindranath Tagore qui l'invita plusieurs mois à Santineketan, l'université qu'il avait fondé à Bolpur au nord de Calcutta. Ce musicien eut semble-t-il d'assez nombreux élèves, auxquels il imposait ses méthodes de travail rigoureuses, mais aucun d'entre eux n'est devenu un artiste de premier plan. Décédé en 1931 (ou 1932), Sangameswara n'a pas laissé d'enregistrement de sa musique.
Sangameshwara SastriTumarada Sangameshwara Sastri
             Dans le même district que Pithapuram (East Godavari), à Draksharamam, vivait au début du XXème siècle Emani Achyutarama Sastri, un autre vainika réputé. Son père, Subbaraya Sastri, était aussi instrumentiste, et son fils, Emani Sankara Sastri allait devenir un des artistes les plus importants de son époque, à la fois pour cet instrument et pour toute la musique carnatique. Nous ne pouvons affirmer catégoriquement qu'il y ait eu des influences musicales entre Sangameswara Sastri et Achyutarama Sastri, mais ils se sont sans aucun doute rencontrés. Nous les rapprochons dans le même bani pour des raisons géographiques, et sur les dires de certains musiciens actuels de l'Andhra Pradesh. Chitti Babu, bien que ne se disant disciple que d'Emani Sankara Sastri, étudia néanmoins auparavant avec Eyyuni Appalachariar, élève lui-même du maître de Pithapuram.
Bani de Pithapuram

            Emani Sankara Sastri est né en 1922 dans la petite ville de Draksharamam, au centre-est de l'Andhra Pradesh, dans une famille de musiciens vainikas depuis plusieurs générations. Montrant des talents très précoces pour la musique, il apprit le chant puis à partir de treize ans la vina avec son père. Il donna son premier concert sur cet instrument en 1940 pour la station d'All India Radio de Tiruchchirappalli, mais l'événement le plus marquant de cette année là fut, sa famille s'étant installée à Madras, son entrée dans l'orchestre des studios de cinéma "Gemini", les plus importants du sud de l'Inde.
            Très vite il montra des dons pour la composition, et fut promu en quelques années directeur musical de ces studios. Dans ce cadre particulier, il apprit aussi l'orchestration et la direction, compétences qui devaient le servir pour la suite de sa vie professionnelle. Grâce à ces talents il fut en effet engagé en 1959 comme producteur de musique "légère" par la station d'All India Radio de Madras, puis fut nommé à partir de 1961 compositeur, chef d'orchestre, producteur et directeur de l'Orchestre National d'A.I.R. (Vadya Vrinda) à Delhi.
            Parallèlement Emani fut un instrumentiste de grand talent ayant donné de très nombreux concerts tant en Inde qu'à l'étranger. Ayant longtemps résidé à Delhi, il fut largement en contact avec les musiciens hindousthanis, et se produisit à de nombreuses reprises en jugalbandi avec de grands instrumentistes du nord, comme Ravi Sankar, Ali Akbhar Khan, ou Amjad Ali Khan. Il garda une très bonne connaissance de cette musique et incorporait souvent à ses récitals quelques pièces ou ragas issus de cette tradition.
          La composition et l'orchestration marquèrent profondément la carrière musicale d'Emani Sankara Sastri. Il écrivit plus d'une centaine de pièces qui, bien que respectant les règles grammaticales du raga et du tala, incorporaient souvent des couleurs ou des procédés empruntés à d'autres cultures, hindousthanies, occidentales ou extrême-orientales. Il ne craint pas non plus d'écrire des oeuvres purement instrumentales, libérées de toute référence à l'interprétation chantée. Il considérait que les possibilités orchestrales à l'intérieur de la musique indienne étaient immenses et restaient à exploiter.

        Un point fort de son art réside dans le soin apporté à l'interprétation des multiples sangatis ornant les grands kritis du répertoire classique. Il développa pour ce faire une finesse d'ornementation rarement égalée, véritable cisèlement de la mélodie utilisant toutes les techniques de main droite conjointement à une variété étonnante de pincements. Emani Sankara Sastri a aussi développé un art consommé de la variation du timbre et de l'intensité, vraisemblablement hérité de son expérience de l'orchestration. Beaucoup des effets relevés chez des musiciens du bani de Vizianagaram, comme les accords de toutes les cordes à vide, ou le jeu très sec dû à des pincements près du chevalet, peuvent être retrouvés dans sa musique. Des accords arpégés, des phrases entières doublées à l'octave inférieure, des effets de crescendo continus ou de subits passages du piano au forte font partie de la palette de couleur dont il aime à agrémenter ses interprétations. Les pincements, réalisés sans onglet, offrent un remarquable éventail d'intensités, des plus douces aux plus sonores. L'effet le plus curieux de son invention, et reconnaissable entre tous, est cependant l'utilisation d'un petit ressort métallique occasionnant un bourdonnement très particulier de la corde du Sa grave, que nous avons aussi remarqué chez Pappu Chandrasekhar (Cf. l'exemple ci joint).

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Emani Sankara Sastri - Alap/Tanam - Kharaharapriya
          La forme des improvisations est enfin particulièrement digne d'être observée chez cet artiste, car elle ne correspond que rarement au schéma le plus traditionnel, Sankara Sastri s'ingéniant à provoquer des effets de surprises en donnant à sa musique des tours inattendus. De fausses conclusions, ou des parties rythmées comme des tanams venant se greffer dans les alapanas, sont quelques procédés venant rompre la monotonie de la structure classique.
        Emani Sankara Sastri laissa une discographie très importante, et de nombreux articles ont été écrits à son sujet. Il fut aussi un grand pédagogue qui forma de très nombreux disciples. Sa fille, Kalyani Lakshminarayana, qui l'accompagna dans beaucoup de ses enregistrements commerciaux, est une représentante de son style et on trouve d'assez nombreux enregistrements de son jeu sur Youtube. Son principal disciple restera toutefois Chitti Babu qui su trouver son propre style personnel.
            Après avoir étudié la vina quelques temps avec Eyyuni Appalachariar, Chitti Babu, âgé d'un douzaine d'années, devint pendant douze ans le principal disciple d'Emani Sankara Sastri. Il ne se considérera par la suite héritier que de ce seul guru auquel il voua allégeance toute sa vie durant. Il eut une carrière brillante et reçut les plus grandes distinctions, la plus précieuse pour lui étant celle que lui accorda le Maharaja de Mysore qui le proclama "successeur de Vina Seshanna". Vainika "Top grade" dans la hiérarchie d'All India Radio, Il donna de nombreux concerts hors de l'Inde, en Amérique du Nord, Europe, Asie ou Australie, et appréciait l'attention des audiences qu'il rencontrait dans ces pays. Son parcours s'est malheureusement interrompu prématurément en 1996, avec son décès à l'âge de 59 ans.
         Quelques articles ont été publiés sur Chitti Babu, mais sa discographie surtout est abondante. Elle est composée de disques répondant aux canons les plus classiques, ainsi que de quelques albums beaucoup plus fantaisistes, désignés sous le terme général de "rêveries d'un musicien" Le plus surprenant de ces enregistrement est sans doute Temple Bells / Serenade, réalisé en 1986 pour les cinquante ans de cet artiste, utilisant cinquante vinas réparties en sept groupes de sept instruments, Chitti Babu conservant le rôle de soliste et de chef de cet étrange orchestre. Les deux genres de musique qu'il pratiquait, classique ou de variété, étaient cependant pour lui parfaitement distincts et ne s'influençaient pas mutuellement. Il avait un profond respect pour la "tradition" qu'il disait préserver, mais qu'il distinguait des "conventions" qu'il se permettait d'enfreindre.
Chitti Babu - Temple BellsPochette du disque "Temple Bells - Serenade"

               La musique de Chitti Babu se différentie de celle d'Emani Sankara Sastri sur deux points essentiels : elle donne une priorité - relative - au rythme sur l'ornementation, et à l'improvisation sur la composition. La forme des improvisations est plus classique chez Chitti Babu que chez Emani Sankara Sastri, jouant beaucoup moins sur l'effet de surprise et plus sur la virtuosité pure. Des passages doublés à l'octave inférieure et donc exécutés sur les première et troisième cordes simultanément, et une utilisation très mélodique du jeu des harmoniques sont d'autres caractéristiques de ces improvisations. Les ambitus sont étendus, atteignant souvent le Sa suraigu et descendant au Sa grave, voire au Pa de l'extrême grave.       

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Chitti Babu - Alapana - Amritavarshini
                L'artifice utilisé par Emani Sankara Sastri permettant de modifier la sonorité de la corde du Sa grave n'a toutefois pas été repris par Chitti Babu, son jeu rapide s'accordant mal de la résonance qu'il provoque sur la corde. Les effets d'harmoniques sont particulièrement remarquables chez ce musicien qui les emploie pour réaliser, grâce à des tirés simultanés, de très belles figures mélodiques. Le timbre est clair, favorisé par de nombreux pincements effectués sans l'aide d'onglets, mais avec de grands ongles naturels. La gamme d'intensité est toutefois moins contrastée que celle d'Emani Sankara Sastri. Les doubles pincements très rapprochés (katri mittus) sont parfois aussi employés. Les cordes de tala, généralement égrenées rapidement, sont pincées très souvent pendant les alapanas. Leur action est constante pendant les compositions, servant plus à marquer le rythme en permanence qu'à indiquer les simples temps forts du tala.
          Les tanams sont le plus souvent extrêmement virtuoses, s'accélèrent progressivement, et recèlent de très longues phrases sans aucune pause. De nombreux effets rythmiques comme ceux provoqués par des égrènements très rapides des cordes de tala, ou des alternances répétées de croches et de doubles croches jouées de manière détachée peuvent y être observés.
Comme nous pouvons percevoir dans les tanams le goût prononcé de cet artiste pour l'aspect rythmique de la musique, cet intérêt prend toute sa mesure dans les kalpana svaras pour lesquelles il excelle, et qui sont souvent pour lui le prétexte à de longs dialogues avec les percussionnistes. La répétition par les musiciens de figures rythmiques d'une grande complexité prend un caractère de joute musicale où la vina fait jeu égal avec les meilleurs joueurs de mridangam ou de ghatam. Cette virtuosité et ces rythmes complexes laissent bien sûr moins de place à la richesse de l'ornementation. C'est dans l'importance mutuelle accordée à ces deux composants essentiels de la musique carnatique que se situe la principale différence de style entre ce musicien et son guru Emani Sankara Sastri.
          De nombreux disciples ont été enseignés par Chitti Babu. Les plus renommés sont Suma Sudhindra, Shanthi Rao, S. Sunder, Tara Mohan, et Prabhavathy Ganesan. Suma Sudhindra et Shanti Rao, suivant l'exemple de leur maître (et avec son encouragement), ont elles aussi tenté des expériences musicales (avec des musiciens de jazz ou de rock) les écartant du répertoire purement classique pour lequel elles ont par ailleurs enregistré largement.